Je suis président de l’association Dignité, qui a été créée au début de l’année 2015. La mission de l’association est de porter la parole des personnes SDF, de dire où ça fait mal. Les médias ne parlent jamais de suicide des personnes de la rue, par exemple. Nous, on en parle !En fait, on a voulu créer cette association parce qu’on s’est rendu compte que tout le monde s’en fout !Dans notre association, on est tous passés par la rue, par les CHRS (centres d'hébergement et de réinsertion sociale) ou les centres d'hébergement d'urgence (CHU). Moi j’y suis resté 5 ans par exemple, après une carrière de cadre dans une grande entreprise de l’industrie musicale.A côté, je suis aussi administrateur de la FNARS île de France, et titulaire de l’appel à projet pour les jeunes travailleurs dans l’Essonne.[youtube https://www.youtube.com/watch?v=I0X0i8W6eJo&w=560&h=315]
Ce que je retiens de mes années de rue, c’est que les associations vivent de la misère alors que nous, on la vit. C’est une conviction, et je ne changerai pas.Par exemple, j’ai assisté à l’inauguration d’un centre d’hébergement dans le 13ème arrondissement par l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoé.On avait installé des ordinateurs pour faire joli, mais il n’y avait pas de réseau ! Il y avait des plantes pour accueillir l’inauguration, qu’ils ont retiré deux heures après. C’est cette différence entre la façade et la réalité que je dénonce.La rue c’est de plus en plus dur. Faut pas croire que c’est le monde des bisounours, hein ! Tout le monde se rend compte que ce n’est plus les 30 Glorieuses ! De mes amis de la rue, il y en beaucoup décédés, d’autres qui font des stages en taule.
La journée d’un SDF, c'est très compliqué. Le matin, s’il a trouvé un “115” - un hébergement fourni par le 115, ndlr - il faut qu’il s’en aille à 7h30. Enfin pour ceux qui ont la chance de trouver un 115, parce que c’est de plus en plus rare. Il est dehors : il faut qu’il refasse un 115 pour savoir où il va dormir le soir. Aujourd’hui, il n’y a plus de cabines téléphoniques, alors pour ceux qui n’ont pas de portable… et il y en a qui n’en auront jamais. Les nanas qui vivent dans la rue et qui sont logées en hôtel social, si ce n’est pas sur une continuité d’une semaine, il faut qu’elles refassent le 115 tous les jours.Pour tout ce qui concerne la nourriture, l’accès à l’hygiène… Il faut aller manger uniquement dans tel ou tel endroit, parce que les services sociaux t’ont filé une carte pour manger dans tel restaurants et pas tels autres.Du coup, on dort dans un endroit, on prend une douche dans un autre endroit, on traîne dans un accueil de jour ailleurs, on mange encore quelque part d’autre…. On doit marcher tout le temps.Et puis les centres d’hébergement, c’est bien parce que ça caille l’hiver. Mais c’est pas fait pour quelqu’un qui a l’esprit d’un homme libre.
Les SDF ont besoin qu’on reconnaisse qu’ils existent ! Pour moi, une des choses les plus importantes, c’est la domiciliation administrative. Quand on n’a pas d’adresse, on n’a pas de courrier, pas de sécurité sociale. Du coup, quand il faut se soigner, c’est toujours les pompiers, avec les urgences...Faut arrêter de distribuer que des cafés et de la soupe, il faut faire plus. On doit intégrer les SDF dans la société !C’est plus de l’argent qu’il faut donner, il faut surtout arrêter de mal regarder.Donner de l’argent ça revient à ce que font les gens dans les quartiers riches : donner 10 000 euros à Médecins du Monde, mais par contre ils ne veulent pas de SDF à côté de chez eux. Il avait une bonne expression du problème, Xavier Emmanuelli (le fondateur du Samu Social en 1993, ndlr), il appelait ça "l’asphaltisation du problème" : c’est-à-dire que les SDF sont devenus du mobilier urbain. Et puis un jour quand on ne voit plus le SDF qu’on croise au quotidien, on se dit “merde”.
Arrêtez-vous, dites-lui bonjour !