Un parcours du combattant... Quelles étapes traversent les personnes qui demandent l’asile en France ?

D’après la Convention de Genève de 1951, le statut de réfugié peut être accordé à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.” 

En France, en 2022, 137 046 premières demandes d’asile et 19 057 demandes ultérieures ont été enregistrées selon le ministère de l’Intérieur. Les personnes qui souhaitent demander l’asile en France sont confrontées à un véritable parcours du combattant. En effet, la procédure de demande d’asile est longue et toutes les demandes n'obtiendront pas une réponse favorable.

Nous vous proposons au travers de cet article de suivre les parcours de trois personnes fictives venues demander l’asile en France : Marie (Géorgie), Lydia (Sénégal) et Abdel (Soudan). Nous supposons dans ces situations fictives que ces trois personnes viennent effectuer leurs demandes d’asile à Rennes.

Les situations qui attendent Marie, Lydia et Abdel :

⎖ Etape 1 : obtenir une adresse de domiciliation administrative et un rendez-vous à la préfecture.
⎖ Etape 2 : obtenir une autorisation provisoire de séjour à la préfecture.
⎖ Étape 3 : obtenir les conditions d’accueil auprès de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).
⎖ Étape 4 : envoyer sa demande d’asile à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).
⎖ Étape 5 : passer un entretien à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).
⎖ Étape 6 : attendre la réponse de l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).
Et après ?

Etape 1 : obtenir une adresse de domiciliation administrative et un rendez-vous à la préfecture.

Supposons que Marie, Lydia et Abdel viennent tous les trois d’arriver sur le territoire Français. La première étape de leurs parcours est commune : tous les trois doivent se rendre dans une Structure de Premier Accueil des Demandeurs d’Asile (SPADA) afin d’obtenir une adresse de domiciliation postale pour effectuer toutes les démarches administratives sur le territoire Français. La SPADA va organiser la prise de rendez-vous à la préfecture au Guichet Unique des Demandes d’Asile (GUDA) afin de permettre à Marie, Lydia et Abdel de déposer officiellement leurs demandes d’asile. 

Etape 2 : obtenir une autorisation provisoire de séjour à la préfecture. 

A présent Marie, Lydia et Abdel sont arrivés au GUDA de la préfecture référente. Ce rendez-vous a pour objectif de déterminer la procédure dans laquelle se trouve chaque personne. Afin de déterminer la situation dans laquelle se trouvent respectivement, Marie, Lydia et Abdel, l’agent de la préfecture commence par enregistrer leurs empreintes digitales. C’est à partir de cet instant que les parcours de nos trois demandeurs d’asile commencent à diverger : 

1. Lydia est placée sous procédure Dublin.

Lydia est originaire du Sénégal et elle est entrée sur le territoire Européen en passant par l’Espagne. Lors de son arrivée, elle a enregistré ses empreintes digitales auprès des autorités espagnoles. Elle est donc déjà enregistrée dans la base de données Eurodac qui recense tous les demandeurs d’asile du territoire Européen. En conséquence, l’agent de la préfecture est contraint de placer Lydia sous procédure Dublin.

La procédure Dublin est un règlement européen qui indique que le pays responsable d’instruire la demande d’asile d’une personne correspond au pays où celle-ci a enregistré ses empreintes digitales ou a obtenu un visa ou titre de séjour pour la première fois.

Lydia est alors interrogée par les agents de la préfecture sur plusieurs points et plusieurs documents d’informations sur la procédure Dublin lui sont donnés. Les agents de la préfecture remettent également à Lydia une « Attestation de demande d’asile en procédure Dublin » valable 1 mois et renouvelable par périodes de 4 mois.

Suite à ce premier rendez-vous à la préfecture, l’état Français doit demander à l’Espagne de prendre en charge la demande d’asile de Lydia. Si l’Espagne accepte, la France disposera alors de 6 mois pour y transférer Lydia : C’est la « Décision de Transfert ». Mais à la fin des 6 mois, si le transfert n’a pas été effectué, deux solutions sont alors possibles : 

  • Si Lydia a respecté toutes ses convocations à la préfecture notamment pour renouveler son Attestation de demande d’asile en procédure Dublin, il lui est alors possible de demander l’asile en France.
  • Si à la fin des 6 mois Lydia n’a pas respecté toutes ses convocations à la préfecture, celle-ci pourra être considérée « en fuite ». Dans ces conditions, la France ne dispose plus de 6 mois mais de 18 mois pour transférer Lydia vers l’Espagne. A l’issue des 18 mois, si Lydia n’a toujours pas été transférée, elle pourra à nouveau demander l’asile en France.

En attendant son transfert vers l’Espagne, Lydia pourra être placée dans un Centre de Rétention Administrative (CRA) pour une durée maximum de 60 jours ou assignée à résidence. Elle pourra également bénéficier des mêmes conditions d’accueil que les autres demandeurs d’asile. 

2. Marie est placée dans une procédure de demande d’asile accélérée.

Marie n’est pas encore enregistrée dans la base de données Eurodac mais elle est originaire de Géorgie. Son pays est placé dans une liste de pays considérés comme sûrs par l’état français. Un pays d'origine est considéré comme sûr lorsque, d’une manière générale et durable, il n'y a aucune persécution au sens de la Convention de Genève ou aucune atteinte grave au sens de la définition de la protection subsidiaire.

Marie est placée par les agents de la préfecture dans une procédure de demande d’asile dite accélérée, c’est-à-dire que les délais de traitement de la demande seront plus courts. Elle a peu de chance d’obtenir le statut de réfugiée. Elle devra prouver aux autorités françaises qu’elle est menacée dans son pays en raison de sa situation personnelle.

Liste des pays sûrs en 2024 : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Kosovo, Monténégro, Serbie, Inde et Moldavie (source : Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides)

3. Abdel est placé dans une procédure de demande d’asile normale.

Abdel n’est pas non plus enregistré dans la base de données Eurodac et son pays d’origine (le Soudan) n’appartient pas à la liste des pays sûrs. Abdel est placé par les agents de la préfecture dans une procédure de demande d’asile normale.

A l’issue de leur rendez-vous à la préfecture Marie et Abdel reçoivent tous les deux une Autorisation provisoire de séjour/un récépissé de demande d’asile ainsi qu’un dossier de demande d’asile qu’ils devront compléter et envoyer à l’Office de Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).  

Étape 3 : obtenir les conditions matérielles d’accueil auprès de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). 

Suite au premier rendez-vous avec l’agent de la préfecture, Marie, Lydia et Abdel sont tous les trois reçus par un agent de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).

Lors de ce rendez-vous Marie, Lydia et Abdel auront tous les trois la possibilité de signer une offre de prise en charge pour accéder aux conditions matérielles d’accueil (CMA).

Durant toute leur période de demande d’asile sur le territoire Français, Marie, Lydia et Abdel auront accès à plusieurs services :

  • Un éventuel accès à un hébergement en Centre d’Accueil de Demandeur d’Asile (CADA).  Mais les places sont rares en CADA. Marie Lydia et Abdel seront très probablement réorientés vers les structures d'hébergement de droit commun : centres d’hébergement d’urgence, hôtels sociaux, etc. Pour trouver un hébergement Marie, Lydia et Abdel pourront également solliciter leur réseau personnel et certains acteurs de la vie associative (Ex. Utopia 56, Bienvenue, Un toit c’est un droit, etc.).
  • L’Allocation pour Demandeur d’Asile (ADA) dont le montant varie en fonction de la composition familiale.  Le montant de l'ADA est calculé de la manière suivante : 6,80 euros par jour pour 1 personne + 3,40 euros, par jour, par personne supplémentaire. Une majoration de 7,40 euros est prévue par adulte en absence d'hébergement.

Il faut également noter que tous les demandeurs d'asile ont accès gratuitement aux transports en commun, à la scolarisation et à la domiciliation, ainsi qu’aux permanences d’Accès aux Soins de Santé (Pass) des hôpitaux.

Après trois mois sur le territoire Français, Marie, Lydia et Abdel auront également droit à l’assurance maladie et à la complémentaire santé solidaire.

Étape 4 : envoyer sa demande d’asile à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).

Rappelez-vous, lors de leur premier rendez-vous à la préfecture, Marie et Abdel ont reçu un dossier qu’ils doivent à présent compléter et renvoyer dans un délai de 21 jours à l’Office de Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) situé en région Parisienne. Marie et Abdel peuvent solliciter l'aide de leur SPADA pour remplir le formulaire en français.

Le dossier OFPRA doit être accompagné de :

  • 🙍‍♀️ Deux photos d’identité.
  • 📄 D’une copie du récépissé de la demande d’asile.
  • 📜 Des papiers d’identité originaux 
  • 🗃 De tous les documents pouvant étayer le récit
  • Marie, qui a été placée dans une procédure accélérée, devra également joindre la copie de la notice d'information qui lui aura été remise par la préfecture.

En remplissant le formulaire OFPRA, Marie et Abdel devront donner, en français, un maximum d'informations sur la composition de leur famille, donner des détails de leur voyage pour arriver en France et indiquer la langue qu’ils maîtrisent le mieux. Mais, ils devront surtout raconter leur vie, donner les raisons de leur fuite et les menaces qu’ils encourent s’ils sont amenés à rentrer chez eux.  Enfin, ils pourront ajouter des documents qui pourront attester de la véracité de leur récit. 

Étape 5 : passer un entretien à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).

Suite à l’envoi de leur dossier OFPRA et après plusieurs mois d’attente, Marie et Abdel sont convoqués pour un entretien avec un officier de protection de l’OFPRA, expert de leur pays d’origine. La réussite de cet entretien conditionne la suite de leur demande d’asile. Marie et Abdel doivent convaincre le fonctionnaire de l’OFPRA qu’il ont besoin de protection et que l’histoire qu’ils racontent est bien la leur. Il ne faut jamais mentir lors de cet entretien et donner un maximum de détails.

Pour l’entretien Marie et Abdel ont sollicité la présence d'un interprète pour pouvoir s’exprimer dans la langue qu’ils maîtrisent le mieux.

L’entretien à l’OFPRA se déroule en trois étapes :

  1. Abdel et Marie doivent d’abord énoncer leurs identités, présenter leurs états civils et décrire la composition de leurs familles. Pour donner de l’authenticité à leur récit, ils peuvent se faire accompagner par des associations pour préparer cet entretien. Pour rendre le récit plus crédible, il est utile de donner un maximum de détails appuyant le récit, notamment concernant les pays d’origine respectifs : coutumes locales, géographie, architecture…
  1. Ensuite Abdel et Marie doivent répondre à la question « Pourquoi avez-vous quitté votre pays d’origine ? ». Ils doivent à présent expliquer les raisons de leur fuite en suivant un ordre chronologique. Cette partie de l’entretien est particulièrement éprouvante. Les agents de l’OFPRA insistent pour comprendre toutes les raisons personnelles qui ont contraint Abdel et Marie à fuir leur pays d’origine.
  1. Enfin, Abdel et Marie doivent exposer leurs craintes et les menaces qu’ils pourraient encourir s’il devait retourner chez eux aujourd’hui.

Étape 6 : attendre la réponse de l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA).

Après l’entretien, l’OFPRA étudie les demandes d’asile de Marie et Abdel. Le délai de réponse ne sera pas le même pour eux. Marie, qui est placée en procédure accélérée, aura une réponse sous 15 jours, tandis qu’Abel pourra attendre jusqu’à 6 mois. Dans les faits, les délais sont beaucoup plus longs en raison du nombre élevé de demandes.

L’OFPRA peut apporter trois réponses différentes :

1. L’OFPRA accorde le statut de réfugié à Abdel.

L’entretien et le dossier d’Abdel ont convaincu le fonctionnaire OFPRA. Abdel obtient le statut de réfugié car l'État français reconnaît les risques de persécution qu’il encourt dans son pays en raison de sa religion, de son appartenance ethnique ou d’un autre des motifs exposés dans la Convention de Genève relative au droit d’asile. En définitive, Abdel reçoit un titre de séjour valable 10 ans.

2. L’OFPRA accorde la protection subsidiaire à Marie / Abdel.

Comme Marie est originaire d’un pays sûr, elle ne peut pas bénéficier du statut de réfugié. Mais, si Marie réussit à convaincre l’agent OFPRA qu’elle est menacée dans son pays, elle peut obtenir la protection subsidiaire.

La protection subsidiaire peut être accordée à  “tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15 (la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, pour des civils, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence aveugle résultant d'une situation de conflit armé interne ou international),”. 

La protection subsidiaire, lui permet de bénéficier d’une carte de séjour de 4 ans. Sa carte de séjour pourra être renouvelée si elle prouve que les menaces auxquelles elle est confrontée aujourd’hui sont toujours d’actualité.

Si Abdel ne parvient pas à obtenir le statut de réfugié, il pourra éventuellement bénéficier aussi de la protection subsidiaire.

La protection subsidiaire et le statut de réfugié donnent aux personnes qui en sont bénéficiaires le droit de travailler et l’accès aux droits sociaux. Marie et Abdel pourront être accompagnés par un travailleur social et faire une demande de logement social. Enfin, pour voyager hors de France, Abdel et Marie devront demander un titre de voyage hors de France à la préfecture valable deux ans. Il leur sera cependant interdit de retourner dans leur pays d’origine, sous peine de perdre leurs titres de séjour.

3. L’OFPRA refuse les demandes d’asile de Marie et Abdel.

Dans un troisième cas, l’OFPRA pourra aussi rejeter les demandes d’asile de Marie et Abdel. Ils pourront alors déposer un recours devant la Commission Nationale du Droit d’Asile.

Entre-temps, Abdel pourra renouveler son attestation provisoire de demande d’asile. En revanche, Marie n’en a pas le droit car elle est originaire d’un pays considéré sûr. De plus, la préfecture pourra émettre à l’encontre de Marie une “obligation de quitter le territoire Français” (OQTF) immédiatement. Marie dispose alors de quinze jours pour contester cette décision et demander le droit de rester en France jusqu’au jour d'audience de la CNDA. Si son OQTF n’est pas annulée, Marie perdra l’ADA (aide financière mentionnée plus haut) et son hébergement.

Le jour de l'audience à la CNDA, Marie et Abdel auront le droit à un interprète. Avant l’audience, les juges auront lu leurs dossiers et poseront des questions. La décision de la CNDA est normalement rendue sous 1 à 3 semaines. Deux scénarios seront alors possible :

  • Soit la CNDA annule la décision de l’OFPRA et accorde le statut de réfugié ou la protection subsidiaire à Marie et Abdel.
  • Soit la CNDA confirme la décision de l’OFPRA et déboute Abdel et Marie de leurs demandes. A moins de disposer de nouveaux éléments et de mettre en démarche de réexamen, ils ne pourront plus déposer de demande d’asile en France. Ils perdront leurs places en hébergement, l’ADA et pourront faire l’objet d’une OQTF.

Et après ? 


Si Abdel et Marie sont déboutés de leur demande d’asile, par la suite ceux-ci n’auront plus de droits en France (ressources, travail…). S’ils ne possèdent pas de réseaux (familles, amis) et ne souhaitent pas retourner dans leur pays d’origine, il est probable que ceux-ci se retrouvent en situation de rue.

Si Marie et Abdel obtiennent un statut de réfugié ou la protection subsidiaire, la préfecture délivrera un récépissé de demande de titre de séjour de 6 mois comportant la mention “bénéficiaire de la protection internationale”. Ce récépissé donne droit au travail et ouvre l’accès aux droits sociaux : couverture maladie, allocations, demande de logement social… ce récépissé devra être renouvelé jusqu’à l’obtention d'une carte de séjour définitive.

Après l’obtention du statut, Marie et Abdel devront aussi remplir une fiche familiale de référence envoyée par l’OFPRA. Celle-ci donne un descriptif de l’état civil et permet d’établir un acte de naissance.

Après plusieurs mois d’attente, Abdel et Marie recevront leur acte de naissance. Ceux-ci seront alors convoqués par l’OFII pour une journée civique, passer un test de français et signer un Contrat d’Intégration Républicaine.

A présent, Marie et Abdel peuvent mettre en œuvre toutes les démarches qu’ils souhaitent pour réussir leur intégration sur le territoire français.

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