Chronique d'un été dans un accueil de jour

Je m’appelle Axelle et je suis stagiaire chez Entourage depuis le début du mois de Juillet. J’ai eu l’occasion de me rendre dans un établissement de l’association “Aux Captifs la Libération” pendant l’été. Bénévole pour quelques matinées du mois d’Août, je découvre la vie d’un accueil de jour. Petits récits d’accueil, où j’ai accueilli, mais surtout où l’on m’a accueillie !

Premiers pas à l’accueil de jour “Chez Monsieur Vincent”

Lundi matin, 9h30. Les salariés s’activent derrière les murs colorée de l’ESI (Etablissement Solidarité Insertion), au moment où Eugène, le portier, me salue d’une poignée de main chaleureuse. Au milieu du flot de personnes qui viennent poser des questions d’orientation à l’éducateur au bureau, je me faufile pour atteindre Gilles, le responsable de la structure. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que je sois intégrée à l’équipe, entre bénévoles, éducateurs, et personnes accueillies, qui se mêlent dans les conversations autour d’un café, d’une partie de Triomino (le jeu incontournable de l’ESI), ou la lecture de revues de la semaine.[caption id="attachment_3350" align="alignnone" width="600"]

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Pablo et un autre accueilli dans une partie de Triomino à l'accueil de jour.[/caption]On vient là, bien portant ou non, pour s’asseoir, à l’abri des quatre vents, éventuellement se doucher, se brosser les dents, et échanger quelques mots avec l’un ou l’autre, celui qui sera là. Au fil des accueils, les visages, les tons de voix se font familiers. On parle de tout, allant du foot à la politique internationale. Les parties de Tromino s’enchaînent sans se ressembler, les joueurs sont tous très expérimentés, ce sont presque les mêmes personnes assises à cette table tous les jours ! J’essaye de me frotter au jeu, mais rien à faire, Prince, Gaël, Lévi et bien d’autres sont beaucoup trop forts !Un matin, une guitare traîne dans un coin. Après l’avoir ré-accordée, un accueilli, comme on les appelle là-bas, la passe de mains en mains. Les types musicaux sont comme les origines, multicolores ! Je m’essaye à quelques chansons françaises connues, et me réjouis de l’entrain des accueillis, qui reprennent avec moi les refrains.On dirait que le monde entier passe ici; un concentré de pauvreté matérielle, mais une richesse humaine évidente: richesse de nationalité, de langues, de passions et de talents... Ils parlent de paix ensemble, et se côtoient ici dans une atmosphère paisible; c’est donc possible ![caption id="attachment_3351" align="alignnone" width="481"]

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Un café ou un thé, pour discuter et se réchauffer.[/caption]

Avec Claude à la Préfecture

Gilles me propose d’accompagner Claude* à la Préfecture, quai de Gesvres. Il vient de refaire une demande de papiers d’identité, et il est convoqué pour procéder à des vérifications. Il profite du chemin pour me parler de lui, son histoire, ses galères. Gilles m’a dit que certains “vieux de la vieille” ne s’en sortent jamais, de la rue. Ce jeune quinqua en ferait-il partie ?Quatre femmes dans sa vie, trois enfants, un grave accident qui l’a rendu inapte à la pratique professionnelle, Claude a enchaîné les accidents de la vie. Il est à la rue depuis plusieurs années maintenant, et connaît bien l’accueil des Captifs. Devant un parcours de vie si compliqué, j’ose lui demander ce qu’il changerait dans le monde s’il avait une baguette magique. Il me répond du tac au tac qu’il ouvrirait les portes des 130 000 appartements inoccupés à Paris pour mettre un toit sur la tête de tous ceux qui dorment dehors. Lui-même, dort où il peut, là où il sait qu’il ne dérange pas. Le métro file à notre lieu de rendez-vous, et je commence à le trouver sympathique ce Claude, il doit être apprécié de son voisinage.Nous voici arrivés à l’entrée de la préfecture. Le sac de Claude est bloqué au portique de sécurité. Les policiers n’expliquent pas pourquoi mais, apparemment, ils le gardent. Que peut-il bien y avoir dans son sac ? …Nous poursuivons tout de même jusqu’à la salle de préparation des pièces d’identité. Nous avons un accueil un peu particulier en arrivant, l’hôtesse nous demande si nous avons rendez-vous. Elle lit attentivement la feuille, grimace un peu, et l’apporte à une de ses collègues. Elle nous propose ensuite d’aller nous asseoir dans la salle, elle explique qu’on va venir nous chercher. Arrivent ensuite deux policiers avec le sac de Claude, qu’ils avaient dû récupérer à l’accueil. Ils l'interrogent rapidement et s’approchent de moi, m’expliquent qu’ils vont s’employer à des vérifications, et donc emmener Claude avec eux. Ils me demandent qui je suis, je réponds timidement que je suis bénévole pour l’association “Aux Captifs la Libération”. Ils font monter Claude dans une voiture de police. J’ai juste le temps de lui transmettre un ticket de métro pour rentrer. Apparemment, il n’en aura pas besoin tout de suite. Claude a fait des erreurs en 2015 me dit-il, il est rattrapé par son passé. Et pourtant, Il est rassuré de dormir sous un toit cette nuit, même si c’est entre des barreaux. Il n’endurera pas une peine trop importante après cette garde à vue, et récupérera ses papiers. il finira même par dire :

"Depuis que j’ai ma carte d’identité, j’existe; je suis un citoyen qui a le droit d’être là.”

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Pierrot, une personne sans-abris accompagnée par les Captifs.[/caption]Quelle drôle d’aventure. En discutant de cela autour de moi à l’accueil, on m’explique que ce genre de situations se produisent régulièrement...et que vivre à la rue, c’est aussi vivre dans l’incertitude du lendemain.

Être accueillie par les plus démunis

Les bénévoles, services civiques et salariés de l’ESI ont tous vécu une histoire, une anecdote, une rencontre qui les a menés ici. Certains témoignages sont poignants, et méritent d’être entendus de la bouche de leurs auteurs.

Cette expérience à l’ESI a été très marquante pour moi. J’ai rencontré des personnes plus dévouées que jamais pour faire exister à nouveau leurs interlocuteurs, dans un monde où plus personne ne les regarde. J’ai rencontré des accueillis plus accueillants que moi, qui s’intéressent vraiment à celui à qui ils parlent, preuve que le lien social est une question majeure quand on est sans-abris. Et, je me suis un peu découverte moi-même, accueillie par les plus pauvres d’entre nous!

Le message d’Entourage se vit aussi bien dans son quartier que dans les structures d’accueil, c’est le lien qui prime, et ça change profondément le quotidien de tous.

*Le prénom a été changé.
Illustrations : Copyright Association “Aux Captifs La Libération”.