J’ai rencontré Stef, un sdf, grâce à un ami. En parlant avec lui, j’ai tout de suite remarqué ses « bagouses » tête de mort et son regard si spécial. Il s’avère que j’ai également une bague tête de mort et que j’adore ce genre de bijou. Parfois il suffit d’un petit point commun en terme de goût pour amorcer une discussion.
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© maya louhichi www.mayalouhichi.com[/caption]J’ai voulu en apprendre plus sur le monde de la rue. J’ai eu l’idée de montrer par la photo la situation de Stef et des sans-abri. Je lui ai donc parlé de mon projet pour savoir s’il était ok et quelles étaient ses conditions. C’est comme ça que nos échanges ont commencé. J’allais le voir chaque semaine, pendant plusieurs mois, pour discuter avec lui. Je m’asseyais sur son petit banc où il avait toutes ses affaires et où il dormait, un endroit stratégique et un peu isolé de la poussière et de la pluie. Il y avait les autolibs juste devant, le supermarché à côté, les toilettes publiques (souvent cassées) sur le trottoir d’en face. Durant cette période j’ai en fait pris très peu de photos. J’avais toujours mon appareil dans mon sac mais je voulais avant tout instaurer une relation de confiance et en apprendre plus sur lui, son quotidien, mais aussi répondre aux questions qu’il me posait. Les premières fois où j’allais le voir je rentrais chez moi en pleurant, je me sentais inutile et impuissante de ne pas pouvoir changer les choses. Je suis allée chercher sur internet des associations, des plateformes car je ne suis pas travailleur social et je n’ai aucune formation dans le domaine des sans abris. De plus je n’arrivais pas à mettre de la distance avec mes émotions. J’ai découvert Entourage, j’ai posé quelques questions, et je me suis inscrite sur l’application.
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© maya louhichi www.mayalouhichi.com[/caption]En m’asseyant à côté de Stef je voyais les passants d’en bas et je n’étais pas toujours à l’aise. J’avais peur du jugement et du regard des autres lorsque je discutais ou rigolais avec lui. Pourtant je n’étais pas sans abri mais je sentais une gêne et l’évitement des passants me dérangeait. Et puis j’ai compris que le problème ce n’était pas moi, mais cette indifférence que je constatais. Stef était parfois un peu ivre. Il me racontait qu’il lui est arrivé plusieurs fois de s’être fait taper dessus dans la nuit. Et il aimait bien me « tester » en me taquinant d’une manière pas toujours classe. Certains de ses potes sdf venaient discuter et j’ai ressenti plusieurs fois un malaise. Mais nos échanges étaient pour moi très importants et petit à petit une confiance s’est installée entre nous. Ca peut paraitre bizarre mais quand j’étais avec lui je savais que je ne risquais rien et il me disait toujours que si quelqu’un m’embêtait il s’occuperait de lui. L’écouter m’a permis de mieux comprendre les codes de la rue, ses choix (rester dehors plutôt que d’aller en foyer pour la nuit), sa manière de réagir aux diverses situations. J’observais aussi ses réactions quand d’autres « inclus » voulaient discuter avec lui, mais qu'ils étaient bourrés, ou bien quand ils insistaient pour que Stef change, qu’il se laisse aider. On partageait des moments de complicité car tous les deux on ne « sentait » pas certains qui venaient. J’ai même une fois été prise pour une sdf par une de ces personnes sous l’emprise de l’alcool.
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© maya louhichi www.mayalouhichi.com[/caption]J’ai aussi vu que Stef était apprécié du voisinage. Des riverains venaient lui apporter un plat, des chaussures, des fruits… Une chose m’a beaucoup surprise. A chaque fois que j’allais le voir, Stef m’offrait quelque chose à boire ou à manger, pour partager le moment. Comme si j’étais avec un copain en train de prendre « l’apéro » dans un café. Un soda, des biscuits, des fruits - il n’aimait pas certains fruits et insistait pour que je les ramène chez moi. Sinon il allait les jeter sur la route. C’était une petite pression qu’il aimait bien me mettre pour que je ne refuse pas :) Au fil du temps Stef a pris place dans ma vie. On a fêté à plusieurs son anniversaire avec quelques tartelettes, des bougies et en chantant un joyeux anniversaire. 41 ans, et 4 ans de rue. Il est du même signe astrologique que moi. En fait, on avait plein de petits points en commun. Mon ami coiffeur, qui était à l’origine de cette rencontre, coupait également les cheveux de Stef, chaque mois, dans la rue. Une fois j’étais présente, j’avais mon appareil et j’avais demandé l’autorisation à Stef de prendre des photos. L’idée était de capturer des situations de la vie quotidienne, comme se faire couper les cheveux. Notamment pour que chacun puisse s’identifier à lui, à ce monsieur tout le monde. Durant ce moment mon ami et moi avons été écoeurés du comportement des passants. Certains nous filmaient avec leur téléphone, d’autres s’arrêtaient sans rien dire et regardaient comme si c’était une télé réalité. Personne n’a parlé avec nous, comme s’ils étaient devant la télé.« Grâce à lui je me suis rapprochée de personnes ayant la même envie que moi de participer à cette entraide que j’appelle juste de l’humanité. »[caption id="attachment_3892" align="aligncenter" width="456"]
© maya louhichi www.mayalouhichi.com[/caption]Suite à cette rencontre je suis allée plus facilement vers d’autres personnes sans abris, avec moins d’appréhension, moins de jugement. Je ne suis pas forcément toujours à l’aise, mais à chaque fois que j’ai discuté avec une personne sans abri cela s’est bien passé et je n’ai jamais eu de problème. Et pourtant je suis toujours seule quand je le fais.Je me suis rendue compte que mon attitude et mon comportement (regarder avec bienveillance, sourire, dire « Bonjour, comment allez-vous, comment vous appelez-vous, je m’appelle Maya… », prendre le temps de m’asseoir (parfois agenouillée ou carrément assise par terre) sont des éléments qui permettent une approche douce et respectueuse de l’autre et favorisent un échange, même s’il est de courte durée. C’est un moment de rencontre.Stef, la première personne sans abri avec qui j’ai réellement discuté, m’a apporté cette assurance. Il y a quelques mois, en allant le voir je ne l’ai pas trouvé. Ses affaires n’étaient pas là. J’ai appris que La Mie de Pain était venue pour qu’il soit au chaud cet hiver, sur les demandes des riverains. J’ai contacté l’association afin de savoir où il est, mais je n’ai pas eu de réponse. J’avais remis à Stef une mini caméra afin qu’il filme son quotidien, jour et nuit, pour notre projet. Un jour peut-être, je verrai ses images. Même s’il me « manque » d’une certaine manière je suis extrêmement reconnaissante de l’avoir rencontré. Grâce à lui je me suis rapprochée de personnes ayant la même envie que moi de participer à cette entraide que j’appelle juste de l’humanité.